Jennifer Chambers

Être ou ne pas être, agriculteur? Telle est la question pour la prochaine génération

L’exploitation de la ferme familiale se perpétue au fil des générations. La génération qui exploite la ferme songe à présent à prendre sa retraite. Des stratégies avantageuses sur le plan fiscal permettent de transmettre un établissement agricole à la génération suivante, mais il est important de se poser une question dès le départ : « La prochaine génération a-t-elle l’intention de prendre la relève? » Que se passe-t-il si seuls certains membres de la famille souhaitent exploiter la ferme? Comment planifier la transmission du patrimoine en tenant compte des personnes qui sont actives dans l’exploitation de la ferme et de celles qui ne le sont pas? Une répartition égale est-elle toujours juste? Cette dernière question revêt une importante particulière, car, de manière générale, une entreprise agricole dispose de nombreux actifs, mais de peu de liquidités. La répartition du patrimoine peut-elle être réalisée sans mettre en péril l’exploitation agricole?

Une stratégie souvent utilisée pour transmettre la ferme familiale consiste à s’assurer que les biens agricoles respectent les conditions de la disposition de roulement entre générations. Au décès, la disposition de roulement permet de différer l’impôt sur le transfert de certains types de biens agricoles aux enfants d’agriculteurs, comme les terres, les bâtiments, les quotas, la machinerie et l’équipement, ainsi que « les actions du capital-actions d’une société agricole ou de pêche familiale » et « une participation dans une société de personnes agricole ou de pêche familiale », comme le définit la Loi de l’impôt sur le revenu. Le roulement est un outil précieux qui permet de différer l’impôt qui serait normalement à payer au moment du décès.

Si cette stratégie de roulement n’est pas utilisée, les règles d’imposition des gains en capital s’appliquent. Ces règles stipulent que lorsqu’une personne décède, elle est réputée disposer de ses actifs à leur juste valeur marchande immédiatement avant le décès (sauf en cas de roulement au conjoint, qui permet de différer l’imposition). Si ce montant est supérieur au coût de l’actif pour le contribuable, celui-ci réalise un gain en capital imposable. Étant donné que le budget fédéral de 2024 a proposé une hausse du taux d’inclusion du gain en capital à compter du 25 juin 2024, le faisant passer de la moitié aux deux tiers*, l’impôt à payer en cas de décès augmentera. Avec un taux d’imposition de 50 %, l’augmentation se traduirait par un montant additionnel d’impôt de 83 333 $ sur un gain en capital d’un million de dollars.

Le problème qui se pose souvent pour les fermes qui ont été léguées de génération en génération est le report d’une importante obligation fiscale. La valeur des fermes a augmenté de façon exponentielle et de nombreux agriculteurs ne se rendent pas compte de l’ampleur du gain en capital qu’elles représentent. Le prix de base de nombreuses fermes est très faible, à moins que les générations précédentes n’aient planifié l’augmentation du prix de base, par exemple en utilisant l’exonération cumulative des gains en capital (ECGC) sur les « biens agricoles et de pêche admissibles », qui passerait à 1,25 million de dollars le 25 juin 2024. S’il est vrai que les impôts peuvent être reportés et que le prix de base d’un bien peut être augmenté à l’aide de l’ECGC au fil des générations, il peut arriver qu’un bien ne remplisse plus les conditions requises pour bénéficier de ce traitement fiscal préférentiel et que les impôts doivent être acquittés. Voyons un exemple.

La ferme familiale de la famille Simon se transmet de génération en génération. M. Simon exploite sa ferme depuis qu’elle lui a été léguée par son père, qui l’exploitait également. L’épouse de M. Simon est décédée avant lui. Son fils, Jean, n’a jamais manifesté d’intérêt pour l’agriculture et vendra la ferme au décès de M. Simon. Nous supposerons que les terres agricoles satisfont aux exigences du roulement entre générations et de l’ECGC et que M. Simon a droit à la totalité de l’ECGC de 1,25 million de dollars. Le prix de base de ses terres est de 50 000 $, mais la valeur de celles-ci est désormais de 10 millions de dollars! M. Simon décède en novembre 2024. Sans planification, en tenant compte d’un taux d’imposition de 50 % et du taux d’inclusion fixé aux deux tiers*, l’impôt à payer s’élèverait à 3 316 667 $!

Étant donné que M. Simon a exploité activement les terres et que Jean réside au Canada, il est possible de prévoir l’utilisation du roulement entre générations et de l’ECGC au moment du décès. En utilisant l’ECGC, le prix de base des terres pour Jean passerait à 1,3 million de dollars (coût initial de 50 000 $ + 1,25 million de dollars), ce qui réduirait la facture fiscale future (en supposant que la valeur des terres n’augmente pas) à 2,9 millions de dollars. Il reste encore un montant important d’impôt à payer!**

Maintenant, que se passe-t-il si M. Simon a deux enfants et que l’un d’entre eux souhaite devenir agriculteur, mais pas l’autre? Comment M. Simon répartira-t-il la valeur de son patrimoine entre les deux enfants? A-t-il d’autres biens qui peuvent être légués à l’enfant qui ne désire pas devenir agriculteur? Les actifs productifs utilisés dans l’exploitation de la ferme devront-ils être vendus pour fournir des fonds à l’enfant qui ne désire pas reprendre l’exploitation de la ferme? Ou certains de ces actifs seront-ils légués à l’enfant qui n’exploitera pas la ferme et loués à l’enfant qui désire prendre la relève? Ce sont des questions que M. Simon doit examiner et dont il doit discuter avec ses enfants. Une option permettrait à M. Simon de disposer des liquidités nécessaires pour équilibrer son patrimoine : souscrire une assurance vie afin que les activités agricoles ne soient pas affectées.

Les agriculteurs, comme tous les chefs d’entreprise, doivent disposer d’un plan qui leur permet d’atteindre leurs objectifs de planification successorale et de retraite. L’assurance peut jouer un rôle important dans cette planification. Elle peut servir à financer une obligation fiscale reportée qui peut avoir augmenté de manière importante sur plusieurs générations. On peut également l’employer pour répartir plus équitablement le patrimoine d’un agriculteur si la ferme est léguée à certains enfants et pas à d’autres.

Notes et références

* Le budget fédéral 2024 fait passer le taux d’inclusion des gains en capital de 50 % aux deux tiers à compter du 25 juin 2024, pour la tranche des gains en capital supérieure à 250 000 $ pour les particuliers. Par souci de simplicité, l’inclusion des deux tiers a été appliquée au gain total.

** Lors d’une vente éventuelle, Jean pourra peut-être utiliser son ECGC de 1,25 million de dollars, puisque son père a exercé une activité agricole sur la propriété, mais il est important que toutes les autres conditions requises pour demander l’ECGC à ce moment-là soient remplies.